Chronique du samedi matin
Jour de marché
Rue qui s’exile sous les pas encombrés.
Inertie touristique.
Inerte et frénétique.
Coloration des stands, fleuris comme des
mensonges.
Courir, tenter de fuir. Peut-être vers la
rivière pour y voir les poissons dans les eaux avenantes, pour devenir pélobate
et regarder les trains qui voient passer les vaches.
Mais non j’insiste un peu sur la soufrière, en
me disant que plus tard ce sera là, le pire.
Sur les pavés. L’éruption, les sandales, les
poucettes Ferrari, la puanteur des parfums, les bras qui collent à ceux des
autres, les enfants qui conspuent les parents pour un jouet, une sucette, les
vieux qui lambinent dans leurs scaphandres comme des peulvens immobiles au
beau milieu de la rue et les égarés de la « saucisse de tradition »
bourrée de nitrite qui s’extasieront des heures durant devant les stands dit
« à l’ancienne ».
Mais il m’en faut du temps ce matin pour
atteindre la striction fatale, le point de non retour alors je m’éparpille.
J’ai la cataracte contractée dans le marché
aux puces de luxe.
Des dorures, du kitch, des séchoirs en
flanelle, des recueils de boniments, des éventails essoufflés, des tables
débarrassées des anciens ravaudages et au dessus du panier des bouteilles
transparentes qui ondulent du goulot.
Tiens ici c’est des gravures, des antiquités
rustres, le chandelier se fend la bougie face à ce réquisitoire déclamé par des vendeurs retors aux accents enflammés.
La poudre aux yeux, c’est prescrit comme une
méthadone, c’est sensation ! Invitation !
Viens chez mon fournisseur qu’il
te vende ce que tu ne veux pas !
Mais quand l’addiction est dans le blaze t’as beau jouer les rétifs, c’est trop
tard.
Ce n’est pas à toi qu’ils en veulent au fond.
C’est au fond de ton darfeuille, des fois
qu’ils auraient des affinités avec, c’est qu’ils ont faim les crocodiles.
Et voila le massacre. Les bouquins !
Mon caprice à moi !
C’est pas les meubles mon truc ni les manches
à balais, les outils ithyphalliques c’est pas mon rayon, je laisse ça aux
ménagères esseulées.
C’est dans la poussière entre les vieilles
pages que j’escampe la raison dans la rivière.
J’ai la truffe qui frémit dans les pages
anciennes et les voilà les facteurs de mes réminiscences solénoïdes.
Les scandaleux, les tragiques, les grecs en toges, les blasphématoires,
les pamphlétaires, les dissidents, les surréalistes, les mystiques, les poètes
de toutes les galaxies, les philosophes, les décadents, les romantiques
exaltés, les maudits des comptoirs, les souverains du voyage immobile, les
fécondateurs de l’infini par les voies de l’imaginaire.
J’en ai fabriquées des heures à éplucher leurs
mots jusqu'à la chair, dans des convergences rituelles vers l’absolue.
Et j’en retourne des cartons pour y trouver de
l’or en pages, des lingots de mots, des rivières de pensées qui m’éclateront à
la figure de suite, ou bien plus tard.
Mais c’est qu’il est cher le bonhomme !
Il me prend pour un cataplasme suisse, il me
transforme en anecdote avec ses tarifs prohibitifs.
J’en ai du foutre à lui revendre à
l’emplumé !... qu’il se taise un peu l’animal !...
que je m’enfourne
dans son gosier épris de truculences !
« T’aurais-je donc attendu
pour apprendre à lire ? »
Du gland !...
sinistre acrobate de l’inflation chronique !... garde les tes livres et
attends le prochain viol de pigeons pour les farcir de ton injuste soulte.
J’étale le phénomène
sur les stands réchauffés au dessus desquels je répands mon dégoût pour les
prix alarmistes de quelques individus et je finis tout de même, à l’ombre d’un
platane par trouver mon sésame, auréolé du symbole fastueux d’une illustre
collection.
Point d’abus ici mais
plus qu’un contrat de lecture, un contrat de lecteur à lecteur.
Quelques pièces en
échange et mon sourire retrouve sa place.
Je prends le temps de lever mon trophée en
repassant devant le moulin à paroles qui m’insulte du regard, mais je n’ai que
faire de cette incurie gélatiniforme et je poursuis mon chemin dans l’abondante
floraison de fruits et de chemises, d’olives et de miels.
Sur l’intersigne séculaire d’un stand de
fromage sec je vois danser les chèvres dans l’anti-chambre de mon palais et
rassasié d’anachronismes je quitte le marché vers une autre page à vivre.
Balder