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Le salon de Balder
7 janvier 2009

Conversation avec Joey

Traverser le grand salon, traverser le hall et laisser les ustensiles dans la pièce bleu.
Là se tient la femme au piano, elle regarde le clavier et semble attendre qu'il se mette à jouer seul, une sonate. Passer discrètement pour ne pas la réveiller, elle est une amie aussi mais elle ne parle pas souvent. Se glisser en silence pour ne pas réveiller l'hôtel, ce soir encore l'hôtel est endormi. La sonate est attendue par elle depuis des années, elle la femme en robe noire avec son rouge sang aux lèvres, mais la sonate ne viendra pas ce soir non plus.
Prendre la clef dans le tiroir de la desserte près du bar, ouvrir le frigo des limonades. Une ou deux bouteilles suffiront.
Reposer la clef. Être à l'affût du bruit de ceux qui peuvent se lever.
Mais personne n'entend? tous dorment déjà, c'est l'hiver.
Il fait dormir tôt l'hiver.
Ramper dans le couloir sous les caméras de surveillance pour ne pas se faire enregistrer.
Rejoindre l'élévateur, le vieux, celui qui grince, qui fiche la trouille pendant l'ascension vers l'étage désaffecté.
Se glisser dans la boite comme un cageot de salades en prenant soin de ne pas laisser dépasser ses feuilles pour ne pas coincer la machinerie.
Appuyer sur le bouton sans numéro et attendre que le noir se fasse.
36 secondes plus tard et un petit blocage, rituel palpitant entre le deuxième et le troisième étage.
Les portes faut les forcer en haut pour qu'elles s'ouvrent.
Il est déjà là. Il est toujours là à attendre dans le grand fauteuil, il attend toujours sa limonade dans le grand fauteuil.
Pendant des années personne ne lui avait plus rien apporté, il était couvert de toiles d'araignées, de couches de poussières, de crottes de souris.
Mais depuis un an il n'était plus seul à survivre dans les fissures de l'hôtel pendant l'hiver.
Il pouvait enfin boire sa limonade avec le jeune apprenti.
Celui-ci l'avait découvert et il pouvait passer des heures la nuit à discuter avec lui.
Celui-ci n'était pas fait du même bois que les autres, celui-ci n'était pas complètement enfermé dans un seul monde, c'est pour ça qu'il l'avait repéré, qu'il était venu un soir dans cet étage se cacher pour oublier les brûlures, les coups et les brimades.
Et lorsque depuis son éternité il avait tendu la main pour se défaire de ses toiles d'araignées, de ses années de transparences, il n'avait pas fait peur au gamin.
Le gamin lui avait juste dit, "bonjour, vous devez avoir soif".

Balder

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Commentaires
O
Très beau texte, de l'ordre des sens.<br /> <br /> Et pourtant, envie de fermer les yeux pour mieux me souvenir de l'odeur des vieux ascenceurs, mélange de bois, de fer, d'huile et de sueur... <br /> <br /> Dans éternité, il y a étreinte...<br /> De l'ordre du toucher.
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